Une des
activités de mon métier de pépiniériste
consistait à chercher, importer, acclimater
et diffuser des plantes ligneuses non-autochtones.
Il s'agit de repérer des secteurs climatiques
identiques à celui de la pépinière,
Bretagne, zone tempérée et humide,
ce qui nous projette en Patagonie, Nouvelle-Zélande,
ou dans certaine zones de Chine, du Japon. Puis
de mettre en culture les plantes de ces ailleurs :
Nothofagus, Myrrthus, Drymis, Eucryphia, Hortensias,
Callistemon, Céanothus...
Bien sûr,
j'avais des motifs personnels, ou économiques,
mais si je cultivais 10 taxons d'une variétè,
je refusais de les vendre à un seul client
mais plutôt je cherchais à les éparpiller,
un par un. Pourquoi ??
Petit à
petit je me suis senti comme un maillon d'une
chaîne dont j'essaye de comprendre le sens.
" Qui est au service de l'autre :
la plante ou l'homme ?? "
De tout
temps les plantes ont utilisé des alliés
pour leur propagation : le vent, l'eau...et
dans le même temps, elles ont même
subordonné des espèces à
ce service : les insectes, les oiseaux auxquels
elles préparaient des fruits dont souvent
nous nous régalons aussi, pour que la graine
soit transportée plus loin, enveloppées
dans les déjections.
Les hommes,
il y a quelques milliers d'années, à
la naissance de l'agriculture, se chargèrent
aussi de prendre soin des graines pour les faire
germer ailleurs, sélectionnant des espèces
dans un but alimentaire d'abord et sûrement
aussi pour d'autres qualités recherchées
aussi soit purement esthétiques, soit médicinales
ou encore pour la valeur énergétique
ou mécanique des bois.
La période
des grandes découvertes a donné
lieu à un essor important de l'introduction
de nouvelles plantes en Europe. Pas d'expédition
sans un botaniste qui à son retour enrichissait
les parcs seigneuriaux. L'arbre aux quarante écus,
le Ginkgo biloba, est le prix que paya Jussieu
pour en obtenir une graine, spécimen toujours
visible aux jardins des plantes de Paris.
Le dix-neuvième
siècle, avec la première mondialisation
due à l'ouverture des mers, fut le grand
siècle de diffusion de ces végétaux
exogénes. Les grands conifères d'Amérique
du Nord et la flore abondante et variée
importée du Japon, de Chine et d'Indes,
(hortensias, camélias, et bien d'autres),
sont maintenant tellement habituels qu'on a oublié
qu'ils franchirent les mers, en prenant tout simplement
le bateau, parfois en passager clandestin, mais
le plus souvent, chouchoutés et valorisés
par les plus célèbres botanistes
à la recherche de la rareté et de
l'exceptionnel. Ainsi se creèrent des collections
exhaustives de certaines variétés
( Kew Garden à Londres).
Ces plantes
s'échappèrent ensuite des arboretum
et d'autres parcs, ayant muté pour s'adapter
aux exigences climatiques nouvelles et se promènent,
maintenant, partout en Europe. A la fin du vingtième
siècle, la mode des jardins reprit de la
vigueur et, c'est en avion que voyagent ces graines
et autres boutures. Aujourd'hui, elles sont toutes
là, certaines bien adaptées, voir
conquérantes, comme le Buddleia, d'autres
encore parquées et sous surveillance.
Ceci nous
permet de constater l'extraordinaire pouvoir de
conviction conquérante des plantes.
Le monde
végètal fait aussi de la globalisation.
Bien fou serait celui qui pourrait dire quel est
le maître et le serviteur de ce grand remue
ménage !!! Mais est ce que la réponse
à ma question ne serait pas que les plantes
répondent déjà aux changements
climatiques que nous vivons actuellement ??
Alors que
l'humanité tergiverse, plombée par
des motifs économiques le plus souvent,
dans le monde botanique les stratégies
sont déjà là : se disperser,
et s'adapter, s'adapter, s'adapter
. car
là seul se situe la force et la survie.
" CREATOR AS A MASTER PLAN "
Pharoah Sanders
Au sujet
de l'aspect colonnaire des plantes : Francis
Hallé " Eloge de la plante ".